Laurent Le Bouëdec : « Je suis fier d’être un fondeur. C’est un devoir de se bagarrer »
Depuis dix jours, les salariés de la Fonderie de Bretagne, à Caudan, bloquent l’usine de Renault pour protester contre son départ. Tous se battent pour l’emploi industriel mais aussi pour la mémoire d’une usine qui a vu défiler des générations de fondeurs. Souvent de père en fils. Comme Jean-Paul et Laurent Le Bouëdec.
À 76 ans, Jean-Paul Le Bouëdec a défilé ce samedi 1er mai, dans les rues d’Hennebont (56) aux côtés des salariés de la Fonderie de Bretagne dont Renault cherche à se séparer. Parce qu’il a consacré 30 ans de sa vie à la Société bretonne de fonderie et mécanique, devenue Fonderie de Bretagne en 2009. Avant ça, dès ses 16 ans, il avait travaillé cinq ans aux forges d’Inzinzac-Lochrist jusqu’à leur fermeture en 1966. Jean-Paul Le Bouëdec a défilé pour le patrimoine industriel du pays de Lorient mais surtout pour son fils, Laurent, 52 ans, qui a suivi ses traces en entrant à la SBFM en 1992. « C’était un peu une évidence. Mon père y travaillait, mon cousin, mon oncle aussi, c’était une histoire familiale », raconte le Hennebontais. Et il est loin d’être seul. À la Fonderie de Bretagne, on est souvent fondeurs de père en fils.
La fonderie : une ambiance, une mentalité
Après des petits boulots, à l’Arsenal notamment, le jeune homme de l’époque cherchait un CDI et puisqu’il tâtait pas trop mal le ballon, l’US Montagnarde l’a fait entrer à l’usine caudanaise. « C’était comme ça que ça se passait à l’époque. Il y avait pas mal de footeux à la SBFM. Je connaissais déjà du monde en arrivant ». La fonderie, un travail fatigant, dangereux à l’époque du père de Laurent, « mais je n’ai pas été effrayé par le travail, il y avait l’ambiance, la mentalité, c’est important ». Et quand on entre à la Fonderie de Bretagne, on entre souvent à la CGT. « On m’a presque mis le couteau sous la gorge pour que je prenne ma carte », plaisante le quinquagénaire. Alors Laurent a adhéré, une fois de plus comme son père, dont il est fier. « 35 ans d’usine dont 30 à la SBFM ce n’est pas rien. Lui aussi était de toutes les mobilisations, en 1981, en 1998. Il est inquiet pour son fils car aujourd’hui le travail ne court plus les rues ».
« On ne doit rien à personne »
« Qu’est-ce que je pourrais bien faire à 52 ans ? », se demande Laurent. Une phrase que l’on entend souvent chez ceux qui ont passé plusieurs décennies dans les murs de la Fonderie. De jour. De nuit. Renault a annoncé, le 11 mars, vouloir se séparer de l’usine. Les salariés veulent poursuivre l’aventure avec le groupe français et occupent le site depuis le 27 avril. « On s’est toujours battu, on a souvent gagné et on ne doit rien à personne ». L’échec de cette nouvelle mobilisation, Laurent Le Bouëdec ne veut même pas y penser. « Ce serait très dur… Là, c’est le flou total mais j’y crois ». Avec le plan amiante, Laurent Le Bouëdec partira à la retraite dans cinq ans et il n’imagine pas voir son usine fermer. Ni avant son départ, ni après. « Je ne veux pas partir avec la porte fermée, cela me ferait mal au cœur. Je suis fier d’être un fondeur, de bosser ici. C’est un savoir-faire ».
La déception Renault
En 30 ans, Laurent Le Bouëdec a connu une dizaine de postes à la Fonderie de Bretagne, « on peut dire que j’ai fait le tour de l’usine de la bavure des pots d’échappement, que l’on ne produit plus, à la fusion en passant par le noyautage. Aujourd’hui, je suis à la manutention ». Il travaille en 2/8, de 6 h à 14 h ou de 14 h à 22 h pour un salaire de 1 850 €, « certains diront que c’est bien mais après 30 ans de boîte, ce n’est fou, ça remplit le frigo mais pas de quoi faire des folies », confie le manutentionnaire. Nul besoin de s’entretenir longtemps avec Laurent pour comprendre qu’il ne se bat pas que pour un emploi et le salaire qui va avec. « On est comme des frères, on est une famille », rabâche Maël Le Goff, leader CGT, aux salariés. Laurent, célibataire et sans enfant, a effectivement fait de la fonderie sa famille. « Ici ce sont mes amis, on se voit le week-end, en dehors du boulot ». Alors il lutte pour cet outil industriel qu’il connaît par cœur. Ce week-end, il a dormi à la fonderie sur un matelas gonflable. « Je suis déçu de Renault, quand on lit le tableau noir qu’il dresse de la fonderie… Ça fait mal d’entendre parler de son usine comme ça. On ne demande pas grand-chose : juste travailler. C’est un devoir de se bagarrer ». Pour Jean-Paul et les autres.